Publié le 15 juin 2021
La jeune louve de mer
Crédit photo : Alea BPCE

La jeune louve de mer

87 jours pour un tour du monde à la voile en solitaire
SPORTS NAUTIQUES
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Voile, Portrait

Au pays des marins aguerris navigue une jeune louve qui vogue au gré de ses rêves et fend les océans de son talent. À 31 ans, Clarisse Crémer est devenue, le 3 février dernier, à l’issue d’un parcours atypique qui l’a mené des bancs d’HEC jusqu’à la barre de son Imoca Banque Populaire X, la femme la plus rapide de l’histoire à boucler le Tour du Monde à la voile, en solitaire. Il aura fallu 87 jours 2 heures et 24 minutes à la skippeuse originaire de Paris pour franchir la ligne d’arrivée du Vendée Globe. En 12ème position. Une aventure unique et un voyage intérieur profond qu’elle nous raconte en 7 moments-clés. Avant de retourner un jour gravir l’Everest des mers. Avec encore plus d’appétit. Et une faim de louve.

Crédit photo : Jérémie Lecaudey

NOVEMBRE 2019 - Retour de la Transat Jacques Vabre

BRÉSIL - LORIENT

« Un an avant le départ du Vendée Globe 2020, j’ai ramené mon bateau en solitaire jusqu’à Lorient, depuis le Brésil, où nous venions de boucler la Transat Jacques Vabre à la 6ème place, avec Armel Le Cléac’h. Je n’étais pas en mode course, mais cela m’a permis d’appréhender le bateau, seule, sur une longue traversée de 18 jours. J’ai connu quelques moments chauds – rien d’insurmontable – qui m’ont fait prendre conscience que j’étais « capable ». Capable de prendre le départ du Vendée Globe. S’en est suivie une préparation studieuse composée d’entraînements physiques, de formations météos, d’amélioration du bateau avec l’équipe technique et de blocs de navigation entrecoupés de nuits en mer. J’ai attaqué la dernière ligne droite de cette préparation lorsque j’ai accédé à la certitude de participer au Vendée, en juillet, en décrochant ma qualification grâce à ma 12ème place sur la Vendée-Arctique. »

La première fois que je me suis véritablement sentie capable de faire le Vendée Globe

Crédit photo : Jérémie Lecaudey

MERCREDI 18 NOVEMBRE 2020 - 10ème jour de course

EN TÊTE À TÊTE AVEC THETA

« Theta, c’est la première véritable tempête que nous avons dû affronter. Une dépression tropicale portée par des vents impressionnants qui a marqué très tôt un tournant psychologique dans la course. En effet, saisie par la peur d’être incapable de gérer la situation, j’ai décidé de jouer la sécurité en la contournant au maximum. Je flippais grave. J’ai alors opté pour des trajectoires plus prudentes et utilisé des voiles plus petites. D’un côté, ce choix m’a coûté cher en termes de rythme, puisque j’ai pris près de 200 miles nautiques de retard, mais de l’autre, c’est également ce qui m’a permis de voir la ligne d’arrivée, 70 jours plus tard. On peut dire que les conditions météorologiques ont provoqué un changement d’état d’esprit. Dès lors, je n’avais plus qu’un seul objectif : terminer et ramener mon bateau à bon port. À cet instant, j’apprends à moins me focaliser sur la concurrence et à me recentrer pleinement sur ma course ! »

À partir de là, j’ai changé d’état d’esprit

Crédit photo : Y.Zedda

VENDREDI 4 DÉCEMBRE - 26ème jour de course

PASSER UN CAP À BONNE ESPÉRANCE 

« Passer ce promontoire rocheux situé à l’extrême limite du continent africain marque l’entrée dans les mers du Sud et ouvre la porte aux conditions dangereuses qui vont généralement avec. Les mers du Sud sont redoutées des marins car réputées tempétueuses. On y évolue à bonne distance des côtes, éloigné de tout, comme livré à soi-même. J’appréhendais donc beaucoup le Cap de Bonne Espérance. Surtout que, jusqu’ici, je n’avais jamais passé plus de 18 jours en mer. J’avançais donc vers l’inconnu le plus total. Mais finalement, le fait de le franchir m’a plongé dans l’action. Je n’avais plus à l’anticiper avec angoisse mais juste à être dans l’instant présent pour le surmonter du mieux possible. Cet endroit est fidèle à sa légende, j’y ai vécu des galères et affronté un contexte hostile, mais plus j’avançais, plus je prenais confiance en moi et en ma capacité à relever le défi. »

Oui, je suis cap’ de le faire !

Crédit photo : M. Keruzore

MARDI 29 DÉCEMBRE - 51ème jour de course

GOUGH ISLAND

« L’émerveillement, sur le Vendée Globe, c’est une réaction qui nous saisit au quotidien. C’est d’ailleurs la continuité dans l’extase devant tant de splendeur qui créé le charme unique de cette épreuve. Il m’apparait impossible de dégager précisément des souvenirs plus somptueux que d’autres tant, pendant 3 mois, j’ai navigué dans l’univers du sublime. À plusieurs reprises, certainement parce que l’on se retrouve à fleur de peau à cause de la fatigue, j’ai pleuré de joie face au spectacle qui s’offrait à moi. On revient d’ailleurs du Vendée Globe avec une impression paradoxale : d’un côté, on se sent petit confronté à la puissance des éléments naturels ; mais de l’autre, on se dit que la planète, si on peut en faire le tour en 87 jours, n’est pas si grande et demeure un ensemble très fragile qu’il convient de choyer et protéger. (Un temps de réflexion) Avec le recul, le passage au large de l’île de Gough, aux confins de l’Atlantique Sud, une nuit de pleine Lune, m’a vraiment ému… »

J’ai navigué dans l’univers du sublime !

Crédit photo : V. Curutchet

MARDI 5 JANVIER - 58ème jour de course

LE CAP HORN

« Ce petit bout de Chili, c’est un lieu emblématique pour tous les marins. Car il signifie que, ça y est, on rentre à la maison ! Le skipper est donc censé y épouser un certain soulagement. A contrario, j’y ai ressenti une grande détresse psychologique, comme si je prenais un gros coup de bambou sur la tête. Pendant 7 à 8 jours consécutifs, les conditions avaient été compliquées, m’empêchant de me reposer comme je l’aurais souhaité. Je suis donc arrivée dans cet endroit mythique complétement épuisée physiquement et émotionnellement, dans l’incapacité de profiter des sensations qu’il est censé générer. J’étais déçue de moi-même, certainement car j’avais enjolivé plus que de mesure cette étape cruciale. Une météo plus clémente, une meilleure alimentation et des temps de repos plus sereins m’ont remis sur le bon chemin au bout de quelques jours. Néanmoins, j’en conserverai un apprentissage : j’ai laissé énormément d’énergie mentale dans la première partie du Vendée Globe à anticiper voire redouter mon incapacité à réaliser les choses par moi-même. Désormais, je sais que je suis capable. Plus besoin de cogiter. »

Une grande détresse psychologique dans cet endroit censé générer du soulagement

Crédit photo : V. Curutchet

VENDREDI 15 JANVIER - 68ème jour de course

L'ASCENSION

« Depuis près de 72h, je naviguais avec une voile avant déchirée et attendais une accalmie pour pouvoir la réparer. J’éprouvais énormément d’appréhension car, à nouveau, je doutais en ma faculté à résoudre seule ce problème mécanique. Surtout qu’il s’agissait de grimper au sommet d’un mât perché à 27 mètres de haut, autant dire une véritable ascension pour moi qui ai le vertige. J’y ai passé près de 8h, de midi à 21h, et j’ai dû m’y reprendre à 3 fois - en chutant de surcroît, sur ma dernière tentative, ce qui m’a valu une belle contracture au mollet – mais j’y suis arrivée. C’était si violent et éreintant que j’en ai gardé des courbatures pendant les 4 jours qui ont suivi. Cependant, cette petite victoire m’a fait énormément de bien au moral. J’étais fière de moi, fière d’avoir vaincu mes peurs, fière d’être en mesure de réparer mes voiles comme une grande, comme les autres ! »

Ce jour-là, je suis véritablement sortie de ma zone de confort !

Crédit photo : Alea BPCE

LUNDI 1 FÉVRIER - 86ème jour de course

J-1

« Je n’ai acquis la certitude de franchir la ligne d’arrivée que très tard durant la course. Seulement 3 ou 4 heures avant de la couper officiellement. En effet, on n’est jamais à l’abri d’une avarie ou d’un coup du sort. Tout peut survenir jusque dans les derniers miles. Nous l’avons malheureusement constaté cette année avec Boris Herrmann, le skipper allemand à qui le podium semblait promis et qui a finalement terminé 4ème après avoir heurté un chalutier à seulement 90 miles du port des Sables d’Olonne… Durant les 3 ou 4 heures qui ont précédé mes retrouvailles avec la terre ferme, j’ai pleuré de joie. J’ai ressenti un tel soulagement, comme si toute la tension accumulée pendant 3 mois se relâchait soudainement.  J’ai profité de ces derniers instants magiques et hors du temps, seule avec mon bateau. À l’arrivée, le bonheur est différent : intense, partagé, festif… Après tant de solitude, se confronter à nouveau aux autres provoque des réactions paradoxales : comme un réflexe d’autoprotection lié au fait d’avoir perdu l’habitude d’évoluer en groupe qui se mélange au plaisir immense de retrouver les siens. »

J’ai profité de ces derniers instants magiques et hors du temps, seule avec mon bateau

De Baptiste Chassagne

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