Publié le 15 juin 2018
GRÉGOIRE CHEVIGNARD

GRÉGOIRE CHEVIGNARD

DE SON CANAP' À LA COURSE LA PLUS DURE AU MONDE
TRAIL RUNNING
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Trail, Interview

En début d’année, Grégoire Chevignard  a publié un roman autobiographique au titre racoleur : « De mon canapé à la course à pied la plus dure du monde », à savoir le Marathon des Sables.

 

Pourrais-tu te présenter en quelques lignes ?

Je vois la cinquantaine arriver à grands pas et mes trois enfants me rattraper en taille même si, pour la petite dernière, j’ai un peu de temps devant moi. J’occupe mes journées à gérer les finances d’une grosse entreprise.

Qu’est-ce qui t’a poussé à débuter la course à pied ? Pourquoi avoir commencé si tard ?

Je suis une victime. Un de mes frères m’a offert pour Noël un dossard à une course qui se déroulait neuf mois plus tard. Il a bien fallu acheter une paire de chaussures de sport et s’entraîner un peu pour ne pas arriver dernier de la fratrie. C’est donc par accident que j’ai débuté. Et c’est par fierté mal placée que j’ai continué : nous avons été tellement mal classés à cette première course que nous avons décidé de nous inscrire à un marathon six mois plus tard, histoire de montrer ne serait-ce qu’à nous-mêmes que nous étions encore capables de nous bouger.

Pratiquais-tu un sport avant de te mettre à la course à pied ?

Jusqu’à la fin de mon adolescence, j’ai essayé plusieurs sports (tennis, baseball) où j’ai toujours été beaucoup plus enthousiaste que performant. Puis, depuis mon service militaire, j’ai dû m’essayer quelques fois au squash et un ou deux ans au karaté, mais rien de suivi. Et cela ne me manquait pas… Il s’est donc passé presque vingt ans entre la dernière fois où j’ai couru - lors de mon service militaire - et la reprise.

En me mettant à la course à pied, je me mettais donc au sport ; je n’avais aucun acquis physique sur lequel m’appuyer.

Si tout va bien, ne t'inquiète pas, cela ne va pas durer.

Lorsqu’on lit ton livre, la première chose que l’on apprend, c’est que le corps est une belle machine d’adaptation ! Et qu’on ne connaît pas nos limites. Peux tu dire que tu te connais mieux maintenant ?

Je ne sais pas si je me connais mieux. Par exemple, je suis toujours incapable de dire pourquoi je cours. En revanche, j’ai acquis la certitude, peut être erronée, qu’il n’y a pas grand-chose qu’on ne puisse faire pourvu qu’on en ait envie et qu’on s’y consacre.

Mais en disant ceci, je ne me connais pas mieux, moi ; j’ai plutôt l’impression de mieux connaître tout le monde. En effet, mon parcours n’est pas le fruit d’aptitudes ou compétences particulières. Autrement dit, j’ai acquis la conviction que tout le monde est en mesure d’atteindre la démesure.

Qu’a tu appris de cette incroyable expérience, a-t-elle fait de toi un autre homme ?

Ma garde-robe me dit que je suis un autre homme : pantalons taille 40 plutôt que 44.

Plus sérieusement, la seule différence que je perçois est que comme le champ de mes expériences s’est considérablement élargi, je relativise beaucoup plus toutes les situations du quotidien.

J’ai donc gagné en flegme et sérénité … même si cela ne m’empêche pas de rester impatient et passionné pour ce qui me tient à cœur.

On parle de second souffle, et de cette fameuse sensation de Flow, ressent-on plus de douleur ou de bien-être pendant une telle course ?

Il est difficile de parler de gestion de la douleur pendant les courses sans passer pour un extra-terrestre auprès des non pratiquants. Disons que dans le parcours d’initiation à l’ultra-trail, on a le temps de réfléchir à la notion de douleur pour s’apercevoir que nos vies sont tellement confortables que nous nous sommes mis à appeler « douleur » ce qui n’est qu’un inconfort. Par exemple, courir avec une ou deux ampoules au pied ne relève pas vraiment de la notion de douleur. Bref, sauf en cas de blessure grave, la douleur n’est pas très présente et on apprend à gérer l’inconfort qui s’invite systématiquement.

Un des dictons des courses ultra est justement : « Si tout va bien, ne t’inquiète pas, cela ne va pas durer. »

Un des attraits de ces courses longues est justement d’apprendre à gérer au mieux ces périodes de moins bien et d’inconfort, de manière préventive et curative afin de rejoindre, aussi vite que possible, les périodes de mieux, de « Flow ».

Cela ne fait pourtant pas de nous des masochistes ; nous ne recherchons pas ces moments de doute, d’inconfort, de désespoir parfois, mais ils font partie de la course.

Ce que nous recherchons, et trouvons, tous en revanche, c’est ce que vous appelez Flow et qui peut prendre deux formes. Soit, et c’est la forme que je préfère, l’esprit divague et se détache d’un corps qui fonctionne en mode automatique, comme en rêve - il m’est d’ailleurs arrivé de réaliser l’ascension d’un col en dormant - soit on court, en pleine harmonie et en pleine conscience, c’est-à-dire que corps, esprit et environnement ne font plus qu’un et on atteint une forme d’extase. Les courses longues sont propices à ce dernier état tant il nous est donné de participer à des spectacles grandioses, que ce soit lever ou coucher de soleil en montagne, brumes matinales en plaine, lumière rasante en forêt, neige craquant sous le pied en hiver, …

Certains sportifs se mettent beaucoup de pression dans leurs objectifs à atteindre. Comment as tu gérer ton stress avant la course ?

J’imagine que pour les sportifs qui ont les moyens de viser une performance, un podium, un temps, un classement, la pression peut-être forte. Comme j’ai la chance de ne pratiquer qu’en loisir, sans autre enjeu que de progresser un peu plus à chaque fois, la pression ne fait pas partie du répertoire d’états induits par la course à pied.

En revanche, cela n’empêche pas la magie noire du dossard de jouer à chaque fois.

Dès le dossard accroché, impossible de ne pas penser chronomètre, performance, classement, même si on ne vient qu’en dilettante, sans préparation spécifique, pour accompagner un ami.

Il y a donc systématiquement le stress du dernier quart d’heure avant le départ et ce n’est pas le moment que je préfère. Mais je crois que cela me manquerait si cela n’existait pas.
 

Comme le champ de mes expériences s'est considérablement élargi, je relativise beaucoup plus toutes les situations du quotidien.

De quoi faut-il faire preuve pour réussir ce type de défi ?

Je crois que le plus difficile est de s’inscrire à une course très longue, c’est-à-dire de s’autoriser à rêver, à s’assigner un objectif a priori hors de portée.

C’est souvent l’idée qu’on se fait des choses qui est la plus effrayante, pas les choses en elles-mêmes.

Pourquoi as-tu décidé de raconter cette expérience dans un livre ?

Lorsque je me suis mis à courir des distances plus longues que le marathon et qui impliquent d’être en pleine nature de nuit, je me suis retrouvé à souvent raconter les mêmes anecdotes à des auditeurs incrédules et développer les mêmes arguments pour tenter de les rassurer sur ma santé mentale.

Plutôt que de rabâcher et expliquer, sans être compris, que ce que je faisais n’avait rien d’exceptionnel et n’était que le prolongement d’une pratique loisir, je me suis dit que je pourrais coucher tout ceci par écrit, en espérant que cela puisse donner envie à des sédentaires ou désinhiber des coureurs déjà avertis.

Aurais-tu un conseil à donner à nos lecteurs qui doutent de leurs capacités et ont du mal à se bouger pour accomplir leurs rêves ?

Un rêve est un objectif lointain, tellement lointain qu’il est facile de se décourager en route tant il semble inatteignable.

Il faut donc s’assigner des objectifs intermédiaires, suf-fisamment ambitieux pour être motivants et suffisamment proches dans le temps pour ne pas se laisser aller à cesser de les poursuivre au prétexte qu’on a le temps.

L’atteinte de ces objectifs intermédiaires nourrit la confiance en soit, en ses capacités à faire et ravive l’envie de progresser, d’aller plus loin.

Et alors, de proche en proche, on atteint … et dépasse son rêve.

 

Interview : Carole Cailloux

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