Publié le 15 décembre 2019
Ça chauffe dans les Alpes

Ça chauffe dans les Alpes

Le changement climatique et nos territoires de montagne
SPORTS D'HIVER
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Environnement, Prévention

Ce n’est un secret pour personne, le climat se modifie. Il a même déjà amorcé un changement irréversible que l’on constate aussi en altitude. Samuel Morin, chercheur et directeur du centre d’études de la neige à Météo-France et au CNRS (Grenoble), s’intéresse de près au phénomène. Il a décrypté pour nous la situation actuelle et le futur de nos chères stations.  

Ce que la planète nous dit

Cela fait maintenant presque 2 siècles que des observations sont compilées au niveau des températures à l’échelle de la planète, depuis la révolution industrielle et l’émergence des réseaux de mesure au niveau international sur les continents et les océans. Ces analyses ont révélé que la température globale a augmenté d’1°C depuis l’époque préindustrielle au 18ème siècle. Cette évolution là n’est pas explicable autrement que par les émissions de gaz à effet de serre, liées à l’utilisation des combustibles fossiles comme le pétrole et le charbon. En effet, si on analyse la nature et l’impact que peuvent avoir les fluctuations solaires ou les éruptions volcaniques par exemple, ce sont des facteurs qui ont une importance limitée dans le temps et de faible ampleur.

Selon Samuel Morin, ces évolutions ne sont palpables que lorsqu’on les observe sur une longue période : « Quand on parle du climat, on a besoin de parler sur le long terme, justement à cause des variations qui existent d’une saison sur l’autre. Par exemple, si on se concentre sur des périodes de 5 à 10 ans, rien ne permet de dire que c’est une tendance de fond climatique ou si c’est juste un effet de la variabilité naturelle du climat, de l’atmosphère ou de l’océan. » 

Autre fait, le climat n’évolue pas de la même façon sur tous les territoires. En effet, à l’échelle régionale, il y a de grandes disparités. Dans les Alpes ou en Europe, de manière générale, le réchauffement est près de 2 fois plus rapide selon les saisons que celui à l’échelle planétaire. Parallèlement à cela, le réchauffement sur les océans est moins rapide que celui sur les surfaces continentales. Les étendues océaniques conservent une partie du surplus de chaleur qui est injecté dans le système climatique par les activités humaines. « Ces faits sont établis et font l’objet d’un consensus dans la communauté scientifique », précise le chercheur.

L’enneigement dans nos montagnes

En France, on observe une baisse de l’enneigement, particulièrement en moyenne montagne, entre 1000 et 1500 mètres d’altitude. Ce constat est le résultat de 50 à 60 ans d’études menées au Col de Porte, au dessus de Grenoble, et sur d’autres sites, et témoigne d’une tendance à la baisse sur le niveau moyen de la durée d’enneigement. C’est à peu près 40% des niveaux de neige moyens que l’on a perdu, depuis les années 60. La tendance annonce que les hivers moins enneigés seront plus nombreux. Cependant, de grosses chutes de neige pourront se produire, de temps en temps, car il y a toujours une composante chaotique dans le système climatique. Une combinaison de situations peut faire qu’exceptionnellement, on assiste à de fortes précipitations neigeuses.

En haute altitude, la tendance est moins forte. Il y fera toujours plus froid et il n’y aura à court terme pas de transition de la neige vers la pluie comme à basse altitude. Cependant, la vitesse de fonte de la neige devrait s’accélérer sur la saison hivernale, en raccourcissant sa durée. Le danger concernera principalement les glaciers. Si la neige, qui s’accumule pendant l’hiver, fond avant de se transformer en glace, cela réduira considérablement l’épaisseur de la couche. Ceci explique pourquoi ils fondent et s’amincissent si rapidement. Le phénomène des canicules en été accélère malheureusement aussi le processus.

Pour la fin du 21ème siècle, on peut s’attendre à plusieurs scénarios possibles, encadrés par deux scénarios extrêmes. Le premier : on réduit fortement les émissions de gaz à effet de serre, à les diviser par 2 dans les 10 prochaines années et atteindre la neutralité carbone d’ici la moitié du siècle. Le niveau des températures et le niveau d’enneigement seraient alors stabilisés d’ici 2100. Ceci correspondrait alors aux conditions semblables au niveau qu’on aurait atteint en 2050 dans l’évolution classique. Le deuxième, qui semble être pour l’instant le chemin sur lequel l’humanité est engagée : on continue d’émettre de fortes quantités de gaz à effet de serre. Dans ce cas, on pourrait aller jusqu’à une perte de l’ordre de 80% de l’enneigement moyen à basse altitude, entre ce qu’il était en début de siècle et ce qu’il sera à la fin de celui-ci. Un enneigement de plus en plus sporadique à basse altitude, des saisons d’enneigement fortement réduites, voire des saisons sans neige et où les précipitations tomberont sous forme de pluie, telles sont les conditions auxquelles nous devrions nous attendre. 

Dans ce contexte, on peut se demander comment la nature et l’homme sont impactés et s’adaptent.

On constate déjà, au niveau des écosystèmes, qu’il y a des espèces qui sont peu adaptées au climat qui est en train de changer. Celles dont le pelage ou le plumage changent de couleur lorsqu’il y a de la neige, se voient perturbées dans leur développement. Il y en a certaines cependant qui s’acclimatent, et qui, par exemple, se déplacent en changeant d’altitude pour des conditions plus favorables à leur existence. D’un autre côté, comme la neige disparaît à certaines altitudes, c’est alors la forêt qui prend le pas. 

Les impacts pour l’environnement et l’homme

En ce qui concerne l’homme, la fonte des glaciers et la modification de l’enneigement perturbent le rapport qu’il entretient avec les montagnes. Pour les populations autochtones, et même pour les peuples qui vivent à distance, pour qui ces changements modifient le rapport qu’elles entretiennent avec ce patrimoine immatériel et avec cette dimension culturelle des montagnes. La vision change, on ne parle plus de « neiges éternelles » et les glaciers disparaissent. Les dimensions spirituelle, religieuse et d’appartenance attribuées à l’environnement par certains peuples s’en trouvent aussi perturbées. Cela crée de l’anxiété, de constater cette évolution majeure du paysage dont on sait que l’humanité est très largement responsable. Certains modèles économiques sont également touchés, notamment dans le tourisme du ski. « Tous les responsables de station ont bien conscience que l’enneigement n’est plus ce qu’il était il y a 30 ou 40 ans. Il y a un changement qui modifie la façon dont on gère la destination touristique. Avec de plus en plus recours à la neige de culture, à la fois comme un outil pour pallier au déficit de l’enneigement, mais aussi comme un outil de gestion de la ressource neige dans les stations de ski. » 

Ces changements impliquent un surcoût afin de s’équiper en neige de culture et une modification de la prise en compte des enjeux environnementaux concernant la ressource en eau qui l’accompagne. La gestion de ces problématiques fait désormais partie du paysage des stations de sport d’hiver. 

Les voies d'actions globales et individuelles

Après ce constat, ce que l’on aimerait pouvoir se dire c’est qu’il y a des manières de remédier à cette échéance. Samuel Morin rappelle qu’il existe 2 grandes voies d’action : l’atténuation ou l’adaptation. 

L’atténuation, c’est jouer sur les effets du réchauffement climatique pour en réduire les impacts, et ce à long terme. Il faudrait, en ce sens, réduire considérablement la quantité de pétrole et de charbon consommée et brûlée chaque année. On réduirait alors l’apport que l’humanité injecte sous forme de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. 

Dans ce cas, ces réductions actées aujourd‘hui auraient des effets immédiats sur le niveau de vie, l’organisation sociale, l’organisation des transports, les infrastructures, le système agricole, à court terme. Mais l’effet sur le climat, lui, se verrait seulement à long terme, dans 30 ans ! On voit donc bien l’enjeu que cela représente pour un décideur public de faire ce genre de choix environnemental décisif et cependant très impopulaire auprès du public, qui se verrait contraint à certains changements pour le bien des futures générations. C’est une échelle de temps avec laquelle les sociétés n’ont pas l’habitude de raisonner. Les actions pourraient être immédiates mais les bénéfices seulement à long terme.

L’adaptation, quant à elle, consiste à ajuster une pratique sociale, des infrastructures, un modèle de développement dans un territoire impacté par une donne climatique différente. Des étés plus chauds, des précipitations neigeuses en baisse, des canicules plus intenses, un niveau de la mer qui monte sont quelques uns des phénomènes auxquels nous devrions faire face. Il s’agit de modifier le fonctionnement d’un secteur économique ou d’une société pour tenter de limiter un maximum l’effet du changement climatique et ses impacts négatifs. Etant donné l’inertie du système actuel, cette adaptation sera de toute façon inévitable pour les 30 années à venir.

 

 

En France, pour atteindre les objectifs en 2050, il faudrait réduire considérablement voire stopper l’utilisation des voitures à essence, limiter ou réduire les transports en avion, modifier nos habitudes alimentaires pour utiliser des produits faisant moins appel aux combustibles fossiles, isoler correctement son logement, etc. Ces actions individuelles couvriraient à peu près le quart de l’effort global à fournir. Si chaque français mettait en œuvre une politique personnelle compatible avec ce type de scénario, on arriverait au quart du chemin à parcourir d’ici 2050. Les ¾ restants étant des mesures structurelles pour réformer le système de transport, les infrastructures, le chauffage, l’ensemble de l’activité économique, les importations, la consommation et bien d’autres. L’action individuelle est donc indispensable mais elle ne suffit pas. 

Mais qu’en est-il au niveau des autorités ? 

« Au niveau des décideurs politiques, on constate déjà une prise de conscience. Les secteurs agricoles et industriels commencent à intégrer la dimension climatique dans leurs anticipations d’activité. Les rapports du GIEC ont bien montré l’urgence à agir qui est devenue un constat scientifique. Sans action concrète et urgente, la face du monde va être bouleversée de façon extrêmement forte et avec des dégâts considérables pour les populations et les écosystèmes. » 

Cependant, dans une assemblée, qu’elle soit locale, régionale, nationale voire mondiale, comment arbitre-t-on des intérêts divergents et comment arrive-t-on à programmer une transition efficace du point de vue climatique qui serait juste du point de vue social ? Il ne faut pas oublier, dans ce contexte, que la transition et les enjeux climatiques touchent en premier lieu les plus vulnérables, ceux qui sont marginalisés. Cela ne pourra que s’amplifier si on n’y fait pas attention.

Il s’agit de concilier des enjeux de court terme avec des enjeux de long terme. De nombreuses controverses existent entre un constat partagé par tous et une action qui apparaît encore comme timide voire contradictoire. 

 

Texte : Olivia Bergamaschi

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