Publié le 15 mars 2018
AURÉLIEN DUCROZ

AURÉLIEN DUCROZ

DE LA MER AUX SOMMETS
SPORTS D'HIVER, SPORTS NAUTIQUES
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Voile, Ski, Interview

L’HISTOIRE D’UN skieur DEVENU skippeur

Aurélien Ducroz, 35 ans est un cas particulier dans le monde de la montagne… et de la mer. Double champion du monde de freeride, le Chamoniard est également un marin passionné. Il partage son année entre les pentes enneigées de Chamonix et les embruns de l’Atlantique. Un parcours original tracé entre poudreuse et eau salée.

Commençons par la mer…

J’ai fait une grosse saison de voile (Jacques Vabre, Tour de France à la voile) et des trips mer et montagne au Groenland et au Spitzberg. Mon objectif est de participer au Vendée Globe Challenge et la Jacques Vabre est justement une transat en double, sur le type de bateau utilisé sur le Vendée Globe, des bateaux de 60 pieds… tout doucement je me rapproche de cet objectif ! J’emmagasine de l’expérience dès que je peux. C’était une belle année mer !

… et la montagne ?

Pareil, un hiver assez dingue avec des quantités de neige rarement vues en haute-montagne. Je poursuis ChamLine, c’est la 5ème saison de cette webserie présentant des itinéraires sur Cham… et ailleurs. Je travaille aussi sur le développement avec mes partenaires : des chaussures de ski avec Roxa et les skis avec Movement. On travaille sur la gamme freeride qui est mon coeur d’expertise, même si je fais beaucoup de randonnées : dans Chamline je monte tout à pied ! Je commence à y prendre du plaisir, c’est incroyable de pouvoir monter avec des skis aussi légers et de pouvoir skier aussi vite à la descente. Je vais même participer à la Patrouille Des Glaciers en avril. Je suis donc autant randonneur que freerider !

D’où vient ton intérêt pour la voile ?

Tout est parti du fait qu’on m’avait demandé d’être parrain d’un jeune skipper. Quand j’ai vu son bateau de 6 mètres… et réalisé qu’il allait traverser l’Atlantique sans communication là-dessus, je l’ai pris pour un extra-terrestre. Pendant la course, il a démâté au milieu de l’Atlantique, alors qu’il était en tête. On ne savait pas ce qui se passait, on avait seulement le signal de sa balise, immobile… qui s’est soudain remise en mouvement. Il a fini la course 6 ou 7ème et, en arrivant au Brésil, il a expliqué qu’il avait eu l’idée de démonter une partie de son bateau pour fabriquer un système lui permettant de redresser son mat ! Cette aventure m’a donné envie : est-ce que je serais capable de faire ça, au large, dans un profond état d’épuisement… J’ai eu envie d’aller voir… de tester cette solitude ultime.

Au même moment, le trophée Mer et Montagne m’a invité et j’ai rencontré des marins… ensuite je suis allé au large, j’ai passé un an en Bretagne pour apprendre en faisant toutes les conneries habituelles quand on veut aller vite : démâter, arracher le safran, taper les cailloux !

Sur ma première transat, nous étions 80 à prendre le départ et j’étais clairement le moins expérimenté. Pourtant, plus les jours passaient, mieux ça allait. J’ai compris que le large, est comme la montagne : c’est une question de lecture de terrain. A toi de trouver ton chemin. Je me sentais comme à Verbier, quand je prépare ma ligne pour l’X-Trem (la course de freeride la plus réputée au monde, qu’Aurélien a gagné 4 fois, ndlr), je repère les endroits où ca passe et où ça ne passe pas… exactement comme en compétition sur l’eau. C’est ça qui m’a accroché : comprendre, analyser, afin de se frayer son chemin à travers l’élément. Je pense que les montagnards se sentent à l’aise en mer, car le mécanisme de gestion de l’élément est le même. D’ailleurs je compare souvent la régate au ski alpin et la course au large au freeride. Le premier, c’est de la technique, tu es proche de la côte, sans notion de danger à part la vitesse, alors que quand tu vas au large, c‘est comme aller en haute-montagne : il y a des pièges, tu dois créer ta propre route, prendre des décisions dont les conséquences sont importantes… c’est très responsabilisant. C’est ça qui me plaît vraiment dans la voile, sinon le reste, c’est à dire se faire rincer par les vagues, ne parler à personne pendant des jours, avoir le mal de mer, être mouillé tout le temps, ne pas dormir… c’est pas hyper drôle !

Est-ce que passer de la montagne à la mer est un signe de maturité pour un athlète de ton niveau ?

La maturité détermine plutôt le type de pratique, c’est à dire que tu commences par la montagne et après tu vas en haute-montagne, les marins font de la régate avant de se mettre au large. Ce sont des sports d’expérience, avec de la gestion d’éléments, donc plus tu as d’expérience, plus tu analyses et comprend ce qui se passe. J’aurais attaqué le bateau au début de ma carrière freeride, ça aurait été plus compliqué, mon expérience de montagne m’a servi en mer.

Je pense que les montagnards se sentent à l'aise en mer, car le mécanisme de gestion de l'élément est le même.

Comment parviens-tu à organiser ton année avec tout cela ?

Je suis toujours entre la mer et la montagne, je partage mon année en deux. C’est speed, bien sûr, mais j’arrive bien à jongler, j’ai la chance de réussir à vivre de mes deux passions tout en gardant du temps pour mes deux enfants, ma famille… Je pars souvent, cela fait de longue périodes sans les voir mais j’essaie d’avoir de vrais moments privilégiés avec eux.

C’est un équilibre délicat à conserver ?

Ca fait 7 ans que je fonctionne comme ça, l’un et l’autre me manqueraient si je devais arrêter… même si mes racines restent en montagne.

Quels seraient tes conseils à ceux qui veulent se mettre au freeride et à la voile ?

Se mettre à la voile, c’est une bonne idée, on découvre plein de choses en mer, sur soi-même surtout. Comme en freeride, je recommande vivement de prendre son temps, de ne pas brûler les étapes. En mer comme en montagne, tu peux vite te retrouver dans de grosses galères ! Le piège est d’aller trop vite, ça m’est arrivé… en même temps, il faut foncer car on vit des choses incroyables. Si on aime la montagne, on aime forcément la mer !

En montagne, il y a de nombreux dangers aléatoires (chute de pierres, de séracs, des crevasse, des avalanches). En mer, les dangers sont plus faciles à anticiper, comme une grosse tempête, en revanche le plus grand risque est de tomber à l’eau, car même en équipage c’est très compliqué de récupérer quelqu’un… tu ne tires pas le frein à main comme ça ! En solo, c’est réglé : tu tombes à l’eau, tu es mort.

Tu parlais de la solitude en mer, peux-tu nous raconter ce que ça fait de passer des journées entières seul sur un bateau ?

Comme je le disais, tu es rarement seul à la montage, en tout cas dans ma pratique où j’ai besoin d’être entouré, de communiquer, d’échanger sur les décisions. Tu n’es jamais seul trois semaines en montagne, alors qu’un Vendée Globe, c’est 3 mois ! Le plus long que j’ai vécu est 22 jours. Ca s’apprend, c’est sûr, mais ce n’est pas simple au début… la solitude, c’est de la gestion d’émotions, surtout quand tu es fatigué… au bout de 5 jours en solo, tu es déjà dans un état catastrophique ! Du coup tu te mets dans ce que j’appelle « le mode animal » : ton corps se protège en étant centré uniquement sur l’essentiel, c’est à dire faire avancer ton bateau. Tu maîtrises tes émotions, apprends à ne pas t’exalter dans une bonne journée pour ne pas tomber au fond du trou quand tu en vis une moins bonne. C’est un instinct de protection sinon tu pètes un câble, c’est pas humain d’être privé de communication. Je l’ai fait, je n’ai pas envie de le refaire ! J’aime partir en mer longtemps, c’est vrai, mais avec un téléphone satellite pour prendre des nouvelles de ma famille et pouvoir leur dire que je vais bien.

Et pour finir…

Je cherche du budget pour le Vendée Globe !

 

Interview : Guillaume Desmurs
Photos : Aurélien Ducroz

AURÉLIEN DUCROZ

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